On ne s'imaginait pas

Deux heures. Et rentrer dans ses pénates. Sortir de ses chaussures. Maudir sans savourer le silence du TGV. Les portes qui claquent me manquent. La voix de la ligne 14. Les pizzas rue Mouffetard. Les guides désagréables du Père Lachaise entre les gouttes. Les soirées autour du fromage, du saucisson et de quelques verres de Médoc. Nos lèvres rouges et violettes. Nos photos rien qu'à nous. Ce coup de fil et entendre son rire à 500 km. Tout ce qui fait bien, tout ce qui fait du bien. Que le mieux. Seulement le meilleur. Ca existe les week end qui vous prennent dans les bras.
Et c'était profiter. Et c'était se lever, ne pas flemmarder, ne pas regarder la télé. C'était sortir, prendre son vélo, chanter, s'arrêter, y retourner. Une statue plus tard. On respire ici aussi. Jamais je ne voudrais y vivre. Et pourtant, c'est autrement. Ne pas être chez soi et aimer. Un gribouillis sur la carte qu'on lui enverra et deux chocolats chauds parmi des bières et des ordinateurs connectés au wifi. C'est ce décalage-là. La merde des sacs plastique dans le canal st martin. La pluie et de nouveau le soleil. Le silence avant l'éclat de rire. Et le dessert près du Pantheon. Montmartre la nuit, pas de chats gris.

Une nouvelle semaine qui pointe son nez. Et je me dis qu'ils seront là. Heureusement, je me dis ça. Et je l'entends laisser ses messages sans numéros. Et je savoure ce café à la cafeteria étudiante. Je ne buvais jamais de café. Jusqu'à ce que je bosse. Ces moments sont irremplaçables. Je veux conserver ça. Ca et le reste, et les sourires en coin, les mots écrits à la va-vite sur un bout de post-it. Mon casque qui s'emmêle et ça les fait rire. Les coups de fil interminables de Jean-François. L'air de fouine de David. Le spray pour les chiottes plus efficace qu'un tube de Vicks. Les doigts sur la bouche et toutes celles qui parlent trop fort.

Une semaine que je dis la même chose, que je promets de m'y remettre. Mais déjà 3 semaines que j'ai repris ces livres à la bibliotheque et que je n'y ai pas touché de nouveau. Où est-il celui qui le remplacera ? Où sont-elles ces soirées attendues après le boulot ? Relire, découvrir, écorner les pages ensemble. Se démener et puis ramer aussi. Je ne rame plus et ça me manque. Je me sens toute seule. Je ne sais pas en parler parce que plus de pied dedans. Parce que rien à en dire ou l'impression que ce ne sera pas compris. J'avais approché de tout près une connivence, une filiation. Frôlé un long chemin torturé mais tellement beau.
Sans tout ça, je ne me sens plus exister. Ou alors plus vraiment Je n'ai pas envie de dire que je suis téléconseillère. Ras le bol des " tu fais quoi dans la vie ". Mais ma vie, en ce moment, je ne peux pas le nier, c'est ça. Une demi heure de cours, un autre un jour plus tard. Ce n'est pas ce qui était prévu. Je me sens une pale copie de moi-même. Je me souviens et j'envie ces quelques semaines en arrière. Pour le sourire dans mes yeux, et l'éclat de ma voix. Pour ces propositions inattendues. J'ai l'impression de ne pas savoir l'exprimer. Tout est fade et sans goût. Mais c'est ce qui me manque. Les épices, le tout petit peu de sel pour se relever. Mon volcan est au repos et ne demande qu'à jaillir. Mon ventre me fait mal. Il retient tout à l'intérieur. Il avale pour se taire. Il digère pour bercer. Mais ça tourbillonne, ça s'enflamme, ça s'infecte et quand tout suppure, alors je me dis qu'il faut encore patienter. Je n'ai pas l'impression d'être passive. J'ai simplement le sentiment de louper tous les jours des coches, de perdre mon temps. Je perds un temps monstrueux. Toutes ces minutes sans pouvoir y penser. J'ai l'oeil rouge. Je suis pas triste. J'ai mal au présent et à l'avenir.

Et dans ce coeur, tout se bouleverse
Y a t-il quelqu'un à qui parler
Y a pas si longtemps de ça
On se pleurait fort dans les bras
Se dire ce que filent les jours
Et les galères de vos absences ...